Maïwenn

17 nov. 20197 Min

Bolivie : de Caranavi à Rurrenabaque

Du 5 au 14 novembre 2019 - 8 jours de vélo et 265 km

Le matin de notre départ, Jamer nous saute dans les bras avant de partir à l'école, Nellie et Kevin préparent des tortillas sucrées pour le voyage, Jeremias s'attèle avec des amis à la réparation du moteur de son mini-bus, et Don Cruz se rend dans sa partie de forêt, pour vaquer à ses occupations. Nous sommes agréablement surpris par l'arrivée de Lucy, la voisine, qui vient nous apporter du miel local et des oranges de sa production. Nous chargeons sur nos vélos un régime d'une trentaine de bananes, la grande casserole de riz préparée soigneusement par Nellie, et prenons une dernière photo ensemble avant de se serrer dans les bras.


 
C'est avec le cœur serré que nous quittons cette famille et cet endroit paisible où nous sommes restés trois semaines à partager de très bons moments. Je me souviendrai particulièrement des réveils matinaux où nous étions appelés pour le petit-déjeuner, les longs moments de discussions sur nos pays respectifs, les questions surprenantes et souriantes de Don Cruz, radio en main, les pauses journalières où nous nous regroupions tous sur les espaces en pierre pour boire des « matés » et manger des oranges, les moments de jeux avec Jamer à la créativité débordante, l'après-midi à porter l'habit traditionnel bolivien avec Nellie et Lucy, et ces phrases répétées qui ont marqué notre séjour et qui nous ont probablement changé : « Gracias el Cafe », « Todo es possible », « Todo tranquilo ».

C'est aussi avec eux que nous avons vécu, le 20 octobre, les élections boliviennes, et que nous avons découvert une des manières de produire du café biologique dans cette partie nord des Yungas. En résumé, nous avons tous pris le temps de se comprendre, de s'entraider et de partager nos idées. Cette longue pause aura été une attachante surprise et aura été au-delà de nos attentes !



 
La suite du voyage ne se fait pas sans mal. En plus des émotions qui nous agrippent le coeur, le soleil brulant de la fin de mâtinée rend difficile l’ascension du dénivelé caillouteux qui nous attend. Lorsque nous retrouvons le bitume, une pluie battante qui annonce le début de la saison des pluies nous oblige à sortir nos vêtements de protection jusqu'ici très peu utilisés. Conscients que d'autres conditions météorologiques nous attendent, nous essayons d'aborder le plus sereinement possible ce changement. Sur la route, une femme qui tient une "tienda" me questionne sur notre voyage et pense que ce doit être difficile d'être loin de sa famille, et elle m'offre un autre régime de bananes. Décidément, c'est une journée sous le signe de ce fruit, signe de réconfort peut-être ? Kevin pense qu'il ne faut jamais refuser ce que la route nous donne, alors j'accepte sans hésiter. Au bout de 16 km, nous nous arrêtons chez Rustina, pour lui demander si nous pouvons poser la tente sur le terrain de foot à côté de son habitation. Elle accepte et nous propose même de dormir sous un toit. Décidément, la gentillesse des boliviens et boliviennes est sans limite !


 
Le lendemain est difficile, si ce n'est plus que la veille. Nous quittons le stade de foot vers 11h après avoir attendu que les orages s'estompent et que la pluie cesse. C'est avec les jambes un peu lourdes que nous progressons dans l'ascension du dénivelé mais bizarrement, les émotions me secouent encore plus que la veille et m'empêchent d'avancer. Nous faisons une halte dans un endroit original : un poulailler (sans poules) où nous resterons deux jours à attendre qu'une forte tempête passe. Au réveil, nous constatons qu'un éboulement de roches sur la route cause un gros embouteillage. La circulation sera bloquée durant plusieurs heures le temps de dégager la route.



 
Dans les jours qui suivent, nous restons très à l'écoute de l'actualité politique du pays*. Les tensions sont palpables depuis que l'Organisation des Etats Américains (OEA) a déclaré, après une enquête, un manque de clarté dans les résultats des élections présidentielles. Une partie de l'électorat bolivien demande à ce que ces élections soient reconduites.

Pour autant, la route continue de nous présenter de belles rencontres et de nouvelles découvertes, ce qui nous fait oublier un temps les difficultés du voyage. Nous croisons un trio sympathique qui voyage en van, un allemand de Berlin et deux espagnols de Barcelone. Nous jouons avec une petite fille qui nous saute dans les bras aux moments des au-revoir, nous apprécions particulièrement les moments avec les vendeuses de jus de fruits, endroits propices aux échanges et à la rencontre de d'autres boliviens et boliviennes.


 
Nous sommes maintenant dans la région de BENI et sommes très heureux de voir des cacaotiers et de déguster du chocolat local (que nous sommes d'ailleurs obligés de manger vite, sous peine que la fonte soit rapide, quel dommage!). Nous passons une agréable nuit chez Zacharias, un agriculteur qui cultive tout un tas de plantes : citronniers, bananiers et chez lui nous goûtons pour la première fois un fruit entouré d'une grande coquille nous avions aperçu sur la route : la gousse de Pacay.


 
A Yucumo, nous apprenons avec surprise la démission d'Evo Morales, et son exil vers le Mexique. Nous sommes inquiets même si nous avons l'impression de vivre de loin ces transformations politiques. Les villages que nous traversons sont plutôt calmes comparés aux mouvements dans les grandes villes de La Paz, El Alto, ou Sucre. Nous nous questionnons sur l'avenir de la Bolivie, que nous traversons depuis trois mois et à laquelle nous sommes attachés.


 
A l'approche de l'Amazonie, le paysage change. La chaleur écrasante nous pousse à rouler très tôt le matin ! Nous redécouvrons la joie de pédaler sur de longues parties de routes plates, rythmés par des sonorités plurielles d'animaux invisibles, et de marcheurs et marcheuses inépuisables machettes ou carabines en main. Nous croisons des troupeaux de vaches, des cochons qui sortent des grandes herbes attachés à des piquets, et sommes coursés très régulièrement par des chiens que j'apprends à affronter ! La technique étant de les impressionner en criant, en faisant semblant de leur rouler dessus ou en s'arrêtant tout simplement. Nous sommes parfois pris de fous rire après avoir eu peur de se faire croquer les pieds.


 
Qui dit Amazonie, dit moustiques. Le soir où nous avons posé notre tente à côté d'une église évangélique, nous avons sûrement été piqué par un volatile aux piqures douteuses, si bien que le lendemain, ma main gauche et mon pied gauche avaient triplé de volume. Pas si simple de freiner avec une main de bibendum, alors nous nous sommes rendus dans un Centre de Salut pour se rassurer. Rien de grave, et la médecin nous informe que la politique de soins du pays est gratuite à la fois pour ses citoyens et pour les étrangers depuis le début de l'année 2019. Après une nuit passée à côté d'une école, nous reprenons la route avec une troupe d'enfants pour nous aider dans la petite montée. Certains nous suivent sur plusieurs mètres et nous appellent les « gringos ».


Entre Collana à Rurrenabaque, nous entendons dire qu'il y a un « bloceo », c'est à dire un blocage causé par la situation politique dans le pays. De nombreux camions qui transportent du fuel sont arrêtés sur le bas côté et nous recroisons même une famille de El Alto avec laquelle nous avions sympathisé sur le chemin. Arrivés devant le « bloceo » en terre, nous observons que se dressent fièrement le drapeau de la Bolivie et le drapeau qui représente la communauté indigène, le whipala, ainsi que des pancartes revendiquant des valeurs anti-racistes. Nous décidons de passer tranquillement ce barrage et sommes confrontés à une situation inattendue : une jeune femme toute de bleu vêtue nous demande de nous arrêter. Elle est accompagnée de d'autres manifestants qui s'approchent près de nos vélos. Elle exige que nous ouvrions nos sacoches. Surpris par sa question, nous lui demandons pourquoi. A cela, elle répond tout en tâtonnant nos affaires et ouvrant la sacoche guidon de Kevin, qu'elle veut vérifier si nous n'avons pas d'armes. Tandis qu'elle vient pour ouvrir les miennes, je lui dis que nous comprenons la situation mais que nous n'avons dans nos sacoches que des vêtements et de quoi dormir. La femme est très suspicieuse et une autre, plus calme va la convaincre que nous ne sommes que des touristes et que nous ne voulons rien de mal. Entre temps, Kevin est pris à partie par un homme alcoolisé qui lui dit que depuis que le président a démissionné, il peut faire ce qu'il veut et qu'en tant que bolivien, nous devons se plier à ses désirs. Par chance la situation ne dégénère pas et la femme en bleue ne va pas plus loin dans la fouille. Nous partons calmement, mais intérieurement très énervés par ce qui vient de se produire.
 

Nous arrivons à Rurrenabaque sous les coups de midi, contents de se poser pour réfléchir à tête reposée à la suite de l'aventure que nous imaginons en pirogue...


 
*Un résumé sur la situation politique en Bolivie
 
Je reviens ici plus en détails sur la situation politique en Bolivie que nous suivons de près. Comme je l'explique dans le récit de nos aventures, les élections présidentielles se sont déroulées le 20 octobre mais depuis le pays vit des transformations profondes. De façon chronologique, voici ce qui s'est produit depuis :
 

 
1ère phase : Le résultat des élections annonce que le président Evo Morales est reconduit pour un quatrième mandat. Cependant, des suspicions de fraude vont générer des mouvements de contestation de la part des opposants du MAS, le parti socialiste d'Evo Morales. Ces derniers réclament la reconduite du processus électoral, l'écart des résultats entre Evo Morales et Carlos Mesa leur semblant trop éloigné. Evo Morales refuse cette demande et se proclame président de l'état plurinational de Bolivie. Mais cela ne participe pas à ce que les tensions s’apaisent.
 
2ème phase : Evo Morales va accepter que l'OEA vérifie le résultat des élections. Cette dernière conclue à des dérives dans le système électoral bolivien et est favorable à la reconduite des élections. Cette annonce ne fait que renforcer les disparités de pensée dans le pays et une partie du peuple bolivien appelle à la démission d'Evo Morales.
 
3ème phase : Evo Morales annonce sa démission et son exil au Mexique. Une partie de ses soutiens politiques démissionnent également. Les conflits s'accentuent et font plusieurs morts et plus de 300 blessés. La deuxième vice-présidente du Sénat Jeanine Anez, conservatrice de droite, s'auto-proclame présidente par interim, en attendant que les élections présidentielles soient reconduites. Mais cette décision n’apaise pas les tensions. Une partie des boliviens refuse que cette femme prenne le direction du pays, tandis que Morales se dit prêt à revenir.
 

 

Tableau : Les étapes à vélo de Caranavi à Rurrenabaque

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